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    La favorite

     

    Scénario :   Matthias Lehmann
    Dessin :   Matthias Lehmann
    Genre :   Drame
    Année :   2015
    Edition :      Acte Sud
    Nombre de tomes :   one shot
    Statut :   Unitaire
    Public :   Tout public



    La favorite couv 01


    L'histoire
    Orpheline, Constance est élevée par ses grands-parents, dans une maison bourgeoise de la Brie, à l’écart du monde. Le grand-père écoute Gustav Mahler dans un fauteuil, un verre à la main, maudissant le sort qui s’est abattu sur la famille il y a bien longtemps. Un sort qui a fait de lui un lâche et a poussé sa femme, qu’il hait, à punir et à battre cet enfant pour la moindre peccadille.

    La favorite extrait 01

    Mon avis
    Matthias Lehmann livre une oeuvre sombre et habile où chaque personnage tente de trouver sa place : Constance, gamine de 10 ans, qui cherche refuge dans ses rêveries ; sa grand-mère, rongée par la haine, le remord et la frustration ; et son grand-père, dernier vestige d’une époque révolue, celle où sa famille brillait, son château s’érodant chaque jour un peu plus. Les autres personnages que croisent ces trois protagonistes sont peut-être plus heureux, mais pas forcément plus admirables ; des êtres humains, quoi.

    Lehmann, qui signe ici scénario et dessin, parvient admirablement à mettre en scène jusqu’où la haine, la douleur mais aussi la paresse et la couardise, peuvent mener une famille qui pourtant avait tout pour continuer de construire sa réussite. Le mensonge, les secrets, les non-dits, sont les caractéristiques des relations entre chacun de personnages (saupoudré d’un peu de jalousie et de tristesse). L’auteur demeure clair avec son propos : on ne peut construire une famille sur le mensonge. On pourra tout faire pour ne jamais en parler, le repousser, l’enterrer sous des décennies de faux semblants, il éclatera forcément à un moment ou à un autre, toujours plus violemment. L’auteur en profite également pour aborder la construction sexuelle de l’enfance, et également sa déconstruction avec une finesse rarement vue. Chapeau ! La construction scénaristique n’est pas forcément linéaire. Elle pourrait perturber quelques lecteurs. En effet, Lehmann n’hésite pas intégrer des flash-backs racontés à la troisième personne, tel un journal, ou à mêler les fantasmes de Constance à la réalité, recréant même ses pages de BD cachées dans la chambre pour y intégrer son histoire. Heureusement, l’auteur a suffisamment de métier pour blinder son histoire et accompagner, tout en subtilité, son lecteur et ainsi ne jamais le perdre.

    Graphiquement, c’est vraiment très beau. Lehmann travaille en noir et blanc, à l’encre, avec des hachures afin de créer ses textures et quelques aplats noirs qui décollent superbement ses personnages des fonds. Son trait singulier rappelle les gravures du 18e siècle, le tout imprimé sur un très beau papier. Les doubles pages sont magnifiques et regorgent de détail, certaines mériteraient même d’être encadrées. Les personnages humains et animaux sont très expressifs, ce qui donne un ton dissonant avec les scènes dramatiques et renforce le mal-être des personnages.

    "La favorite" est un oeuvre brillante. En effet, Matthias Lehmann avait toutes les chances de tomber dans une histoire misérabiliste, glauque ou indigeste. Il n’en est rien. Il signe ici une histoire prenante de bout en bout, qui réserve son lot de surprises. Petit conseil : ne surtout pas lire les résumés de l’éditeur fournis aux nombreux sites qui communiquent sur cette BD.


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    I kill giants

     

    Scénario :   Joe Kelly
    Dessin :   José Maria Ken Niimura
    Genre :   Drame
    Année :   2018
    Edition :      Bragelonne
    Nombre de tomes :   one shot
    Statut :   Unitaire
    Public :   Tout public



    I kill giants couv 01


    L'histoire
    Barbara Thorson est une jeune fille presque comme les autres. Alors que les filles de son âge sont toutes absorbées par les derniers événements cathodiques, Barbara, elle, préfère Donjons et Dragons. Si elle fréquente le collège Birch, c’est le plus souvent du bureau du principal, M. Marx, pour y chercher punitions et heures de colle. Il faut dire que face à Taylor et ses misérables tentatives de racket, elle n’hésite pas une seconde à se défendre, bec et ongles et à se battre s’il le faut. Et l’ambiance à la maison n’est pas vraiment meilleure... Mais Barbara a d’autres préoccupations. Les Géants s’apprêtent à envahir et détruire le monde. Elle, une toute jeune fille épaulée par de minuscules pixies, est prête à tout pour les en empêcher. Armée de son marteau légendaire, Coveleski, au péril de sa vie, malgré le temps qui lui est compté, elle prépare leur venue.

    I kill giants extrait 01

    Mon avis
    "
    I kill giants", écrit par l’américain Jo Kelly et dessiné par l’espagnol Rosé Maria Ken Niimura, est un véritable OVNI dans l’univers de la BD. Ces deux auteurs officiants, entre autres, dans l’univers des supers héros américains, se sont retrouvés pour créer une oeuvre singulière qui est devenue une véritable référence inclassable, intemporelle et qu’il aura fallu attendre 10 ans avant d’en avoir enfin une version francophone. A noter que les éditions Quadrants ont édité la première partie de l’histoire en 2009 sous le nom "Je tue des géants" et n’ont pas sorti la seconde partie qui devait conclure l’histoire (merci pour les lecteurs !). Mais en 2018 Bragelonne récupère enfin les droits et offre une très belle intégrale, des sept comics book, accompagnée de compléments plutôt sympas.

    Il n’est pas simple d’écrire sur cette BD sans en déflorer l’intrigue. Et pourtant, il y en a des choses à en dire. "I kill giants" est roman graphique d’une sincérité et d’une émotion rare, mais pas forcément facile d’accès. Les dessins de Niimura sont très expressifs, furieux même, et son trait permet de ressentir instantanément le mouvement. Mais son style pourrait faire penser parfois à de l’esquisse ou du dessin bâclé, alors que ses graphismes sont, si l’on y regarde de plus près, très fins, détaillés et de créent aussitôt une ambiance surréaliste où le danger rôde constamment autour de l’héroïne, Barbara. Il est certain que la finesse de son trait demande au lecteur un peu d’attention pour saisir tous les détails, et parfois reconnaître certains personnages qui véhiculent énormément de sentiments uniquement avec leurs visages, leurs postures, sans passer par du dialogue. C’est évidemment le cas avec Barbara, tout de suite caractérisée par… d’immenses oreilles de lapin et des lunettes qui lui prennent la moitié du visage. Les géants et les titans sont magnifiques et certaines doubles pages de dessin mériteraient d’être des tableaux à afficher.

    La narration quant à elle est fluide. Kelly ne perd pas de temps dans l’installation des personnages et attaque tout de suite dans l’action. Ce qui est peut-être déstabilisant, surtout pour celles et ceux qui n’ont jamais joué à des jeux de rôles, car plusieurs références construisent l’histoire ; certains dialogues pourront donc paraître étranges aux non-initiés, mais sans que cela ne soit handicapant pour comprendre l’histoire. Justement, la force de l’histoire vient dans la caractérisation du personnage principal à qui l’on est obligé de s’attacher tant elle est à la fois insupportable et débordante de fragilité. Une carapace émotionnelle qu’elle se crée et que l’auteur parvient à nous faire comprendre avec une grande subtilité. Fragilité, car Barbara est jeune, même pas encore une adolescente et que sa vie n’est pas si simple, ses psychoses, ses peurs, ses combats permanents et ses souffrances, bouillonnent tout le long des planches et explosent lorsqu’elle ne peut plus les affronter. Ainsi, si Kelly aborde le thème classique de la disparition de l’enfance et de la construction identitaire, il parle avec finesse de la mort, du deuil, et de la méchanceté de l’enfance (qui deviendra celle de l’adulte).

    Il faut lire "I kill giants" et se laisser surprendre par cette oeuvre qui possède plusieurs niveaux de lecture pertinents et poignants. Ces deux auteurs nous proposent ce qu’ils ont fait de meilleur dans leur carrière qui n’est pas prête de s’arrêter, on l’espère. Certes, il faudra un peu d’effort pour entrer dans l’histoire et accepter ces univers sombre et excentriques à la fois. Mais c’est aussi cela l’univers d’un artiste, il faut apprendre à le découvrir, il faut l’explorer, il ne se laisse pas faire, et s’en est tout l’intérêt, à l’image de l’héroïne de cette histoire. Un film du même nom, adapté de cette BD, est également sorti en 2018.


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    Je vais rester

     

    Scénario :   Lewis Trondheim
    Dessin :   Hubert Chevillard
    Genre :   Drame
    Année :   2018
    Edition :      Rue de Sèvres
    Nombre de tomes :   one shot
    Statut :   Unitaire
    Public :   Tout public



    Je vais rester couv 01


    L'histoire
    C’est l’été, Fabienne et Roland arrivent à Palavas pour une semaine de vacances. Il a tout organisé, réservé, payé et noté dans un carnet les moments importants du séjour. Un accident tragique survient alors qu’ils n’ont pas encore déposé leurs bagages à l’appartement... et elle se retrouve seule. Contre toute attente, elle décide de rester sur place et faire ce qui était prévu. Son hébétude et son déni laisseront-t-ils de la place à l’imprévu ?...

    Je vais rester extrait 01

    Mon avis
    Lewis Trodheim, le célèbre auteur de "Lapinot", prouve ici qu'il a du métier et qu'il sait, avec finalement très peu de texte, raconter une histoire puissante et touchante. "Je vais rester" est un one shot très singulier, qui ne traite pas directement du deuil, mais vraiment de la douleur, celle de perdre son compagnon de toujours et qui propose de continuer à vivre, parce qu'on n'a pas le choix. Ici, l'héroïne est partagée entre tétanie, stupeur et négation et va tout au long du livre tenter, par tous ses moyens, de repousser l’inéluctable moment où il faudra se confronter à la mort de son conjoint. Ainsi, elle décide de continuer ses vacances, tout du moins celles qu'il lui avait minutieusement préparées. Et va tenter d'en profiter, se satisfaisant des plaisirs simples, un Perrier-citron en terrasse, une balade en bord de mer, une fête locale, etc. Evidemment, elle va rencontrer quelqu'un, un Saint Bernard en quelques sortes. Mais leur rencontre ne débouchera pas sur ce qu'il est classique d'entrevoir habituellement ; un homme lui aussi à la recherche des plaisirs simples, avec un vision de la vie dépouillée de jugements.

    C'est le point fort de cette histoire, des personnages plus vrais que nature, que l'on a peut-être rencontrés ou qui font écho avec nous. Tout se joue dans les non-dits, les regards, et les longs silences rythmés par les flots et brisés par les hurlements des gamins qui courent sur les plages. La vie pouvant s'arrêter à tout moment, ces héros très ordinaires décident de vivre, de ne pas s’embarrasser de la pensée de la mort, tout en la rendant omniprésente ; dans chaque page, chaque texte, chaque dessin. Fuir la mort, c'est lui donner corps, la mettre au centre de chaque préoccupation, elle fuyant celle de son compagnon, lui se confrontant aux décès des autres pour relativiser le sien.

    Les dessins sont doux, des coups de crayon aux couleurs pastel, rien ne heurtera les yeux du lecteur, comme pour lui permettre d'entrer dans le rythme lent des vacances, qu'il convient de savourer car le temps qui passe inexorablement ne prend jamais pitié de ceux qui tentent de le fuir. Il convient de prendre ce temps de contempler ces pages vides de texte, mais remplies d'âmes gravées sur le papier par le crayon d'Hubert Chevillard, mais qui disparaitront dès la page tournée, un peu comme ces gens que l'on rencontre au cours de notre et qui disparaitront de nos esprits, continuant leur existence de leur côté.

    "Je vais rester" n'est pas une oeuvre cynique ni déprimante. Elle nous rappelle qu'il n'y a pas qu'une seule manière d'appréhender le deuil et que tôt ou tard, la mort nous rattrape toujours. Alors autant laisser ceux qui souhaitent vivre dans l’illusion qu'elle n'existe pas, ou qui tentent de l'oublier un temps, jouir de immortalité le temps d'un été.


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    Daytripper

     

    Scénario :   Fábio Moon
    Gabriel Bá
    Dessin :   Fábio Moon
    Gabriel Bá
    Genre :   Drame
    Année :   2012
    Edition :     
    Nombre de tomes :   one shot
    Statut :   Unitaire
    Public :   Tout public


    Daytripper couv 01

    L'histoire
    Brás de Oliva Domingos, fils du célèbre écrivain brésilien, passe ses journées à chroniquer les morts de ses contemporains pour le grand quotidien de Sao Paulo… et ses nuits à rêver que sa vie commence enfin. Mais remarque-t-on seulement le jour où notre vie commence vraiment ? Cela commence-t-il à 21 ans, lorsque l’on rencontre la fille de ses rêves ? A 41 ans, à la naissance de son premier enfant ? Ou au crépuscule de sa vie…

    Daytripper extrait 01

    Mon avis
    En voilà une oeuvre singulière que nous offrent les frères jumeaux Fábio Moon et Gabriel Bá, qu'Urban Comics a eu la riche idée d'éditer en France. Ces deux auteurs brésiliens racontent une histoire assez classique sur le fond, un trentenaire qui se pose la question sur le fait qu'il est peut-être passé à côté de sa vie, mais avec un traitement narratif des plus intéressants. En effet, la narration est régulièrement ponctuée par... La mort du protagoniste. En posant systématiquement la question : qu'est-ce qu'il lui serait arrivé si le destin lui avait permis de vivre quelques années de plus ? Les différentes périodes de la vie (un premier amour, un enfant, la perte des proches) étant non chronoliques, afin de permettre au lecteur de la reconstituer à la manière un puzzle ; chaque "fin d'existence" conclue par une nécrologie qui aurait pu être rédigée par le personnage principal, narrateur de sa propre mort.

    En effet, la mort est omniprésente dans toute l'oeuvre, tant par les décès du héros, que par sa famille, ou ses amis ; la mort qui prend par surprise, qui éclate au moment où l'on s'en soucie le moins, comme pour rappeler que l'existence est fragile et qu'il convient d'en profiter en permanence. Et c'est tout l'enjeu de cette histoire. Le personnage principal, d'abord passif, presque fuyant, prend conscience, avec l'âge, de sa mortalité. Lorsqu'on est jeune, si nous ne sommes pas atteints d'une grave maladie, nous sommes immortels, la mort n'existe pas. Puis, celle-ci commence à se manifester par la disparition des grands-parents, des vieux comme on dit. C'est à partir du moment où les parents disparaissent à leur tour, que l'on commence à prendre conscience de sa propre et inexorable disparition. Et c'est peut-être à cet instant précis que sa propre vie peut prendre du sens, qu'elle peut devenir utilise, pour soi-même et pour les autres. C'est en tous cas le cheminement que va faire le protagoniste principal de cette histoire, les auteurs lui permettant de vivre un peu plus pour lui donner la possibilité d'accomplir peut-être l'homme qu'il aurait pu être. Puis la mort s'installe comme une finalité naturelle, dont l'acceptation permet de vivre sereinement.

    Graphiquement, nous avons le droit à une oeuvre dessinée tout en finesse, avec une mention spéciale au travail minutieux sur les rajeunissements et vieillissements des personnages. Les visages sont délicatement dessinés, permettant de transmettre des émotions sans avoir besoin de rajouter du texte. Les couleurs vives, choisies avec soin, illustrent parfaitement les différents passages de la vie du héros. Le style rappel sans mal Craig Thompson, ou même Fredekik Peeters dans une certaine mesure. Que de la haute voltige, quoi !

    Daytripper veut raconter que les années sont précieuses, et qu'il ne faut pas les user. Certes, l'idée n'est pas nouvelle, mais qui tente vraiment, au jour le jour, de l'appliquer ? Qui ose prendre des risques, ne remet pas au lendemain, profite de chaque instant décide de prendre sa vie en main pour se pas se réveiller un matin avec ces désagréable sensation d'être passé à côté ? Daytripper raconte que la vie est un véritable cadeau, un cadeau qui ne peut être qu'offert qu'une seul fois.


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    Amer Béton
    titre original : Tekkon kinkurito

     

    Scénario :   Taiyo Matsumoto
    Dessin :   Taiyo Matsumoto
    Genre :   Drame, policier, onirique
    Année :   1996
    Edition :      Tonkam
    Nombre de tomes :   3
    Statut :   Série terminée
    Public :   Pour adulte



    Amer béton tome 1 Amer béton tome 2 Amer béton tome 3


    L'histoire
    Deux gamins, deux petits chats comme on les appelle à Takara, volent au-dessus de la ville. Blanko et Noiro, dix ans, abandonnés à leur sort, règnent sans partage sur une cité perdue dans ses errements. Blanko sait compter jusqu'à dix, Blanko invente des chansons, Blanko espère de meilleurs lendemains, Blanko est perdu sans Noiro. Noiro pense beaucoup, Noiro sait beaucoup de choses, Noiro décide, Noiro veille sur Blanko, Noiro est perdu sans Blanko. Le coeur et l'esprit s'unissent contre les yakuzas, contre les policiers, contre les ennemis. Mais qui sont les ennemis ? Que devient la société ? Les deux chats la subissent, d'autres tentent de réagir, chacun à leur manière.

    Amer béton extrait 01

    Mon avis
    Le mangaka Taiyo Matsumoto semble nous offrir sa plus grande oeuvre, car ici il pourrait être question de chef d'oeuvre à la condition de parvenir à entrer dans l'histoire, car celle-ci ne se laisse pas faire ; l'auteur décidant de ne pas prendre le lecteur par la main, le laissant entrer par où il le souhaite. Pour celui qui accepte la règle du jeu, il se verra très vite récompensé car "Amer Béton" est une oeuvre d'une force rare, onirique, qui frôle même avec le mysticisme. Tout un programme donc !

    Tout le récit d'"Amer Béton" est écrit dans une dualité permanente, chaque personnage ayant son "antonyme", les personnages contraires ayant eux-mêmes leurs propres "contraires", tout en étant complémentaire du premier personnage, etc. Les concepts philosophiques du Yin et du Yang demeurent constamment évoqués sous diverses allégories, l'auteur cherchant toujours à équilibrer puis déséquilibrer ces deux forces tout au long des 600 pages de l'histoire. Mais au-delà cette première vision mystique, l'auteur pose les questions universelles de l'intérêt de la vie, des liens qui unissent toutes choses, et notamment celui qu'entretien chaque personnage avec Takara, une ville ultra-violente, tordue au sens propre du terme, où clignote sans arrêt les milliers de panneaux lumineux publicitaires, où seuls ceux qui n'ont pas conscience de leur condition vivent. Les autres survivent. Dans cette ville, elle-même constamment dans un équilibre fragile, toujours prête à basculer, on y retrouve une galerie de personnage ambivalent qui, s'y ne se sont pas suicidés ou n'ont pas été assassinés, évoluent sans autre but que de rester accrocher à cette cité : Chocolat, petit truand maquillé ; Sawada le flic frigide qui ne demande qu'une seule chose, tirer avec son gros flingue ; le Rat, yakuza usé mais craint et respecté ; le grand-père, mi-sage mi-idiot ; et évidemment Noiro, à la cicatrice sous à l'oeil droit, et Blanko, au grain de beauté sous le même oeil, les deux héros antinomiques (une nouvelle fois !) perdus dans cette sombre histoire.

    Graphiquement, là aussi l'auteur ne simplifie pas l'approche. D'un noir et blanc abrupte, les dessins semblent, dans un premier temps, naïfs, voire laids. Car oui, ils sont laids, laids comme la vie des personnages de Takara, laids comme leur ville. Les perspectives ne sont pas respectées, les immeubles sont tordus et s'entortillent dans tous les sens, les rues ne vont nulle part, les toits sont constamment déformés, les personnages, à l'image de la ville, restent eux aussi torturés. De plus, tout est dessiné au premier plan, aucune perspective, donnant ainsi un effet d'écrasement des actions et des héros lorsqu'ils combattent ou quand ils sautent de toit en toit. Le lecteur se sent du coup, comme les personnages, constamment oppressé, écrasé par cette ville où il est difficile d'y entrer. Mais une fois aspiré, quasi impossible d'en sortir.

    "Amer Béton" ne donne aucune morale (ses héros frappent, tuent, torturent), mais pose la réflexion sur ce qui peut attirer les opposés et comment du déséquilibre peut naitre la vie. Une existence qui ne pardonne rien à celui qui ne se donne pas justement les moyens de vivre. Cette oeuvre révèle aussi que l'idiot n'est pas toujours celui qu'on croit, et que les réponses, mais aussi les questions, ne sont valables que par rapport au prisme par lesquelles elles sont données.


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